Quand on s’est mis à semer dans les champs de grandes
éoliennes, tout le monde avait bien sûr compris que le paysage ne serait plus
le même de jour. Comment peut-on ne pas voir ces grands oiseaux à une patte qu’on
prend soin de peindre en vert à leur base pour les faire communier avec les
cultures maraichères ? Ben oui, on n’y voit que du feu… Ça se marie si bien
dans la nature. Oh, vous avez-vu ces cylindres verts au fond du champ ? Mais qu’est-ce
que c’est ? Ah ben dis-donc… une
éolienne ! On ne l’avait pas remarquée à 30 km à la ronde tellement elle est
bien camouflée ! Les petites ailes bleues, comme le ciel, ça aurait ajouté, il
me semble. Mais c’est embêtant les jours de pluie…
Depuis le printemps dernier, je regarde donc ces grands
trucs bousiller l’univers visuel de la Montérégie Ouest. Assemblées tranquillement,
étage par étage, on s’est fait à l’idée que les éoliennes étaient là pour
rester. Maintenant presque toutes assemblées et fonctionnelles, il n’y a pas
une route de mon patelin qui ne soit épargnée de leur vue. Même les municipalités
qui les ont refusées sur leur territoire ont une vue sur les grands oiseaux,
sans les bénéfices, évidemment. Car si les redevances versées aux propriétaires
terriens et aux municipalités pour héberger ces oiseaux amputés qui ne
voyageront jamais hors de notre vue, sont bien intéressantes, les voisins n’en
retirent rien d’autre que des panoramas dévalués. Pas facile à vendre, des propriétés
avec vue sur les grandes bringues.
Donc, de jour, tout le monde l’a compris d’abord et constaté
ensuite, on les verra d’un peu partout. Pas moyen de s’en défaire. Faudra
regarder au ras des pâquerettes. Pas plus haut que les champs de maïs (pour le
soya, on repassera, c’est trop bas pour cacher la vue). De nuit, on nous a
parlé de la possibilité de faucher quelques chauve-souris au passage, mais si
peu, parce que l’intelligente petite bête détecte les obstacles comme un sonar.
Seules quelques créatures déréglées devraient y passer. Mais qui d’entre vous s’est
vu avisé du cirque de lumières rouges à la nuit tombée ?
Je quitte donc à la nuit tombée, la semaine dernière, un
paisible village, disons vers 20h, pour rentrer chez moi dans un autre village
paisible. La route, habituellement paisible aussi et bien noire, offre un temps
de répit visuel et permet de relaxer. Voilà cinq points rouges à l’horizon, qui
clignotent à l’unisson. Curieux, mon compagnon de route et moi-même avons
poursuivi les points mais un peu las, nous sommes rentrés à la maison avec
quelques doutes sur l’identité de ces lumières. De nouvelles antennes cellulaires
? Des extra-terrestres en formation de vol ? Ah oui, c’est le temps des oies.
Elles sont équipées comme ça, les oies ? Le lendemain soir, leur nombre avait
doublé ! On s’est dit, ça y est, on est envahis !
Le week-end suivant, en observant la magnifique Covey Hill
qui signifie la fin des Adirondacks, nous avons aperçu les éoliennes qui
pointaient leur nez fier dans le vent. La Covey Hill en a pris pour son rhume.
Elle a maintenant l’air d’un porc-épic. Je ne sais trop si ces éoliennes sont
situées aux États-Unis ou au Québec, honnêtement, je m’en fous, mais je les ai
dans la face quand je vais cueillir des pommes !
Jeudi soir dernier, c’est plus d’une trentaine de ces gros
points rouges qui clignotaient au loin, toujours à l’unisson, direction
sud-ouest. Nous les avons aperçus à la faveur de la courbe à la fourche des
routes 138 et 203. On est au minimum à une trentaine de kilomètres du lieu de
la plantation, mais peut-être est-ce plus loin (et c’est encore pire, alors).
On a l’impression de se diriger vers un grand centre urbain alors que dans
cette région, c’est l’heureuse campagne profonde.
Les éoliennes implantées dans le Roussillon seront bientôt toutes
en fonction. Combien d’éoliennes dans cette seule région ? Chacune porte un
petit nom bien à elle, un chiffre, en fait. Il y en a une qui s’appelle l’éolienne
45. On fait le décompte ? Qu’en sera-t-il du projet de parc d’éoliennes de Godmanchester[1]? Dans
certaines municipalités, dont celle où j’habite, les conseils municipaux ont refusé
le projet sur leur territoire (et on les en remercie). Ça ne m’empêche pas de
voir trois lumières rouges au bout de ma rue quand je vais porter mes ordures
au chemin. À 30 km… (ben non, pas mes ordures, les lumières !)
J’en profite, au lendemain de l’annonce du ministre de la
culture M. Maka Kotto sur la nouvelle Loi sur le patrimoine culturel, pour
dénoncer les implantations de parcs d’éoliennes qui sont venues gâcher
irrémédiablement le patrimoine paysager de la Montérégie Ouest (le paysage est maintenant
inclus dans cette Loi[2]). Le
patrimoine paysager de cette région comporte des demeures ancestrales à l’architecture
typique, des vergers, des cultures de petits fruits, des vignobles, des érablières,
des terres en friche pleines de grosses roches, des murets de pierre le long
des chemins, des pacages avec des moutons et des vaches dedans, des villages au
charme inégalé. Il y a de vrais gens qui habitent ces lieux ! Il y a de vrais
touristes qui s’y attardent pour son côté bucolique et son accueil chaleureux.
La main humaine a façonné ce coin de pays. Nous pouvons donc l’appeler patrimoine paysager ! Et de ce fait,
nous devons le protéger !
Dans notre coin de pays, c’est maintenant Noël tous les
jours ! Ne perdez pas de temps à poser vos petites lumières dans vos sapins en
fil de fer. Regardez plutôt les grandes lumières de ce monde dans le ciel de la
Montérégie Ouest. C’est tellement plus grandiose que l’étoile de Noël ! Ça vous
coûtera moins cher d’électricité, que les éoliennes s’empressent de gaspiller à
mesure qu’elles la produisent pour ressembler au p’tit renne au nez rouge.
[2]
Paysages culturels patrimoniaux.
Un paysage culturel patrimonial est façonné à la fois par des facteurs naturels
et par des activités humaines… Un paysage naturel ne peut être considéré comme
un paysage culturel patrimonial pour sa seule beauté. L'humain doit y avoir
laissé sa trace… La Loi sur le patrimoine culturel vise à favoriser la
connaissance, la protection, la mise en valeur et la transmission du patrimoine
culturel dans l'intérêt public… Plus particulièrement, la Loi prévoit la
désignation de paysages culturels patrimoniaux. Ce geste contribue à leur mise
en valeur et à leur préservation, en plus de comporter de nombreux avantages
pour la communauté. Source :
Culture et Communications Québec, http://www.mcc.gouv.qc.ca/index.php?id=5115